« Oups, je t’ai mordu, c’était plus fort que moi, j’ai vraiment pas pu me retenir ! »
Comme une cocotte-minute sous pression qui doit relâcher de la vapeur afin de ne pas exploser, certains chiens peuvent, s’ils sont soumis à un stress intense lié à un congénère ou à un humain, et s’ils ne peuvent pas l’atteindre, mordre un chien ou une personne à côté pour en quelque sorte « décharger » leur tension sur un support externe par le biais de leurs mâchoires.
J’ai découvert ce type de conduite agressive un jour au passage d’un portail. Je promenais For Ever et Dyna en laisse dans notre village, et en passant devant la cour d’un labrador, celui-ci s’est jeté sur son portail, crêté de l’échine à la queue, grondant et aboyant toutes babines retroussées. Mes chiens se sont énervés contre lui de l’autre côté, et dans cet imbroglio de menaces et d’excitation, For Ever a mordu l’oreille de Dyna.
Le cartilage auriculaire de Dyna a été ouvert sur 6 cm, ce qui a nécessité une opération sous anesthésie générale, une pose de points de suture et le port d’une collerette pendant une semaine.
J’ai au début cru au hasard, mais le hasard n’existe pas dans les comportements canins, et une amie comportementaliste m’a éclairée sur la cause de cette morsure que For Ever a infligé sur la chienne qui partage sa vie, Dyna.
C’était une agression redirigée.
Pourquoi tant de violence?
La morsure, dans le cas d’une agression redirigée, est là pour évacuer la tension interne, pour que le chien s’apaise et rétablisse son homéostasie (son équilibre intérieur).
Souvent, elle surprend par son aspect soudain et non réfléchi : le chien s’énerve, s’excite vers quelque chose, et d’un coup il se retourne et mord la première chose qui se présente à sa mâchoire (la main ou la cuisse de son maître, ou le chien paisible d’à côté qui n’a rien demandé…), puis il retrouve son calme dans la foulée.
On pourrait presque penser à une morsure réflexe, qui répond à un besoin intrinsèque très fort.
La morsure peut juste être « posée » (le chien pose ses crocs et les retire immédiatement) tout comme elle peut aussi être totalement désinhibée dans la pression et le blocage des mâchoires, en fonction de l’intensité du stress vécu par le chien et de ses propres autocontrôles.
Les différents scénarios d’agressions redirigées
Les bagarres de chiens : quand les humains s’en mêlent…
On dit souvent qu’il ne faut surtout pas séparer à mains nues des chiens qui se battent, et c’est bien vrai.
Et pourtant, face à une bagarre, notre première réaction – encore plus si notre propre chien prend part à la bagarre – est de se jeter dans la mêlée pour saisir par la queue, le cou, le collier, le harnais, les chiens qui se battent.
Et c’est souvent là qu’un chien se retourne et mord son propre maître.
Non pas par méchanceté, vengeance ou dominance.
Mais juste parce que le stimulus perçu (votre main le harponnant) a redirigé sa conduite agressive sur un autre support : votre main, votre bras (ou pire : votre visage).
Les chiens dans les cours et jardins
J’ai longtemps travaillé en tant que factrice à la Poste, à bicyclette, souvent dans des zones pavillonnaires avec des jardins et des chiens, qui m’accueillent chaque jour plus ou moins amicalement.
Dans certains jardins, les chiens qui sont à deux, trois, ou plus, avait tendance a créer un mouvement d’agression de groupe envers moi, l’inquiétante factrice à bicyclette qui chaque jour les narguait du haut de mon vélo jaune.
Dans ces situations-là, ils rugissent derrière leurs portails, se gonflent, claquent des dents derrière le grillage, puis subitement, il y en a un qui s’en prend au chien d’à côté et le mord violemment. Et l’état de stress général retombe alors comme un soufflet.
Ce phénomène touche tous les chiens, du Yorkshire au beauceron, quels que soient l’âge ou le sexe.
C’est une agression simple à comprendre : le chien ne pouvant pas atteindre ce qu’il tente d’agresser, redirige alors son agression sur son congénère qui se trouve à sa portée.
Les chiens réactifs en laisse
Mon chien For Ever (le perceur d’oreille de Dyna) a tendance à rediriger ses agressions quand on passe devant les portails des chiens qui l’irritent dans le village.
Au plus haut de son excitation, il peut se retourner et me pincer la cuisse, le genou… ou un autre chien qui se promène avec nous.
Il relâche sa pression émotionnelle par ce biais : par ses crocs, sur un support à sa portée.
Que peut-on faire ?
Pour éviter que votre chien redirige son agressivité sur vous ou un congénère, le mieux à faire est d’anticiper au maximum les situations irritantes pour votre chien, et d’utiliser tous les moyens possibles pour qu’il ne monte pas en excitation. Moins il ressentira de stress, moins il aura besoin de décharger ce stress sur un support extérieur.
Le conditionnement avec du renforcement positif fonctionne bien, n’augmente pas l’état de tension interne du chien, et ne le met pas en échec.
En pratique
Dans la rue : Vous pouvez apprendre à votre chien à garder son attention sur vous, en présence du stimulus irritant. Il vous regarde, vous le récompensez (avec sa friandise préférée bien sûr). Petit à petit vous réduisez la distance avec la source de son stress, en continuant à veiller à ce qu’il garde son calme et son attention sur vous.
Vous pouvez aussi augmenter la distance avec l’objet de son énervement, pour diminuer le stress et l’irritation ressentis par votre chien (changer de trottoir, prendre une autre rue par exemple…). Ce n’est pas fuir le problème, c’est agir intelligemment en respectant ses émotions.
Une fois votre chien calme, vous pouvez lui donnez des friandises, pour le récompenser et créer une association positive avec l’objet de son stress situé au loin. Puis, progressivement, vous pouvez réduire la distance qui vous en sépare (comme expliqué plus haut).
Dans le cas d’un chien au profil émotionnel trop sensible, qui ne sait pas encore gérer son stress et son agressivité, vous pouvez vous aider d’une muselière « panier » pour vous protéger et protéger les chiens qui vous accompagnent, pendant la période de conditionnement.
L’utilisation d’un boudin (les boudins en toile avec poignée que l’on trouve dans les animaleries) est aussi un excellent support pour rediriger la morsure de votre chien dans les premiers temps. Il se retourne, vous lui présentez le boudin, il le mord et s’apaise. L’inconvénient du boudin est que souvent, on manque de mains pour le tenir : une main tient la laisse, une main tient le sac à crotte, on essaie de donner des friandises, et du coup on ne sait plus comment se dépatouiller avec cet encombrant accessoire. On peut néanmoins le tenir par sa sangle enroulée autour de notre poignée, ainsi il est toujours accessible.
Les bagarres : Quand on veut séparer deux chiens qui se battent sans y laisser une main, la meilleure des choses à faire est de ne pas y mettre les mains.
Un grand bruit inhabituel peut surprendre les chiens, et les faire cesser un instant leur bagarre. Pendant cet instant de flottement, chaque maître peut rappeler son chien.
Attention, même si la bagarre est « mise sur pause » grâce au bruit inhabituel, l’état de stress des chiens n’est pas encore retombé, et vous pouvez toujours vous faire mordre.
Vous pouvez aussi demander à toutes les personnes autour de s’écarter et de partir. Souvent, faute de spectateurs, le spectacle s’arrête, et les chiens cessent d’eux-mêmes leurs affrontements pour rejoindre leurs maîtres respectifs ou leurs petites occupations.
Dans tous les cas, n’oubliez pas qu’il ne sert à rien de gronder ou punir un chien qui vous a mordu ou a mordu un congénère dans le cas d’une agression redirigée.
Votre chien a mordu pour décharger sa tension interne.
C’est à vous de faire en sorte d’anticiper les situations anxiogènes pour lui, de lui apprendre à rester calme de façon positive ou de rediriger de façon consciente et intelligente son stress sur un support neutre si besoin est.